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Psychanalyse ou psychothérapie un faux dilemme face à la demande
actuelle1
icolas Gougoulis - Paris*
La demande psychanalytique actuelle met le praticien en situation de réfléchir aux
paramètres théoriques et techniques qu’il est obliger de considérer à partir du moment où il
pose l’indication d’une écoute psychanalytique possible. En effet, la majorité des problèmes
psychologiques actuels relèvent du domaine narcissique, dans cette galaxie diagnostique que
l’on essaie de définir avec les termes d’état limite ou borderline. Certains collègues
choisissent de maintenir la position classique de la cure type d’autres recourent à des
traitements en face à face, moment fréquent à partir duquel l’on définit une psychothérapie ;
D’autres encore comme Marilia Aïsenstain essaient de provoquer notre réflexion en affirmant
que la psychothérapie psychanalytique n’existe pas2. Dans ma brève intervention je vais
essayer de réfléchir sur un cas clinique, qui d’entrée présentait une particularité de la
demande. Je suis conscient que mon propos restera plus sur une série de questions, mais mon
objectif ultime est de tenter de sortir de ce que je considère comme un faux dilemme dans la
mesure où je pense que quelque soit le choix technique, la pensée et l’éthique analytique
demeurent les mêmes.
Freud se rend compte que la pathologie narcissique ne relève pas d’un problème de
mémoire au sens simple. Il ne s’agit plus de réminiscence ou d’ « oubli ». Ces écartements ou
reviviscences du champ de la conscience qu’il théorise en tant que défense puis refoulement
comme il en a pu faire l’hypothèse pour les psychonévroses. Mais il s’agit bien de la qualité
des premières inscriptions psychiques et des mécanismes psychiques qui les traitent qui
posent problème. Par conséquent Freud se trouvait dans l’obligation de réinventer sa théorie
de l’appareil psychique et des mécanismes de son fonctionnement, pour étayer vers la fin de
sa vie, en 1937, la théorisation sur le clivage et la technique de la construction.
En choisissant cet angle d’approche, il devient évident que mon point de vue est
clinique. La clinique de la souffrance humaine où la compréhension de ce qu’on fait ne vient
qu’après coup. Clinique où l’intuition et l’empathie prennent le pas sur des considérations
techniques et théoriques. La compréhension de l’analyste est souvent un produit d’une
1 Conférence à la soirée : Psychanalyse ou psychothérapie organisée par R. Goldstein Barcelone 24 avril 2009.
; Psychiatre, Praticien hospitalier (ASM13), Psychanalyste (SPP), secrétaire scientifique AIHP.
2 M. Aïsenstain « Contre la notion de psychothérapie psychanalytique ». In D. Widlöcher (dir.) Psychanalyse et
Psychothérapie. Ramonville, Erès, 2008, 119-132.
1
appréhension fulgurante, un saisissement surprenant qui l’oblige à une poursuite du travail
autoanalytique, censé être constant. Si on espère favoriser un changement des patients de type
narcissique, on apprend que ceci ne va pas sans changement dans la personne de l’analyste.
C’est pour cette raison que souvent il est très difficile de rendre compte de ce type de cures.
Pour bien travailler le praticien crée ou, devrais-je dire permet l’apparition d’une sorte de
« bulle » symbiotique au sens psychique, de laquelle on sort à la fin de la séance mais qui
existe en latence de manière plus permanente. Ecrire sur cela met à distance des phénomènes
et les cerne par des mots qui ne rendent que de manière approximative la vérité de l’éprouvé,
du vécu d’une séance ou d’une séquence de cure.
Ces patients viennent avec des demandes floues de mal-être, de sensations de ne pas
habiter leurs corps. Souvent d’ailleurs, il s’agit des deuxièmes et troisièmes tentatives de venir
à bout de problèmes que des efforts analytiques précédents ont laissé sans solution. Dans
quelques cas les relations analytiques ont rencontré des impasses et même des mésaventures
transférentielles a priori imprévisibles. Je ne parle pas seulement des transferts érotisés, des
passages à l’acte du côté patient mais aussi des transgressions du côté de l’analyste qui pour le
moins mettent à mal le cadre et parfois mettent le patient en danger psychique.
En voulant rester clinique je dois dire d’emblée que mon effort théorisant constant en
exercice libéral a bénéficié d’une réflexion venant de l’exercice psychiatrique dans un centre
d’accueil et de crise. Cette expérience m’a amené à considérer la crise psychique comme un
cheminement empruntant à l’envers la construction initiale de l’appareil psychique, idée qui
trouve son origine dans les écrits de Winnicott3. Aussi je conçois l’espace de la rencontre où le
narcissisme est en jeu selon un certain nombre de composantes qui sont constitutives de la
résultante que nous abordons comme situation clinique. La réflexion m’a amené à envisager
la relation analytique lors de ces rencontres avec une prudence technique que je vais
m’efforcer de décrire à travers quelques moments cliniques d’une cure.
Madeleine est venue me voir dans un état de grande douleur psychique et physique. Sa
petite cinquantaine avait déjà connu une évolution cancéreuse guérie récemment. Cependant
elle se trouvait dans un désert relationnel. Elle venait de rompre une relation avec un homme
qu’elle avait beaucoup aimé, à la suite de quoi, elle a eu recours à une alcoolisation d’abord
mondaine, puis plus importante pour remédier à sa douleur dépressive. Ce recours chimique
devenant de plus en plus encombrant et la poussant à une désocialisation, l’a amené enfin à
chercher de l’aide, ce qui était auparavant une démarche impensable pour elle. En cherchant
3 D.W. Winnicott, La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques. Paris, Gallimard, 2000.
2
dans son entourage amical, elle a précisé qu’elle souhaitait trouver un analyste qui parle.
C’est avec cette demande spécifique qu’elle s’est présentée.
Il faut dire, à ce point de mon récit, que ce type de demande est devenu de plus en plus
fréquent de l’exercice en ville. De mon point de vue nous avons une série d’explications.
D’un côté la pathologie de ville connaît une évolution vers la fragilité narcissique, de l’autre
côté l’attitude analytique du miroir réfléchissant est devenue insuffisante comme seule arme
thérapeutique4. En effet, si le silence était une arme correspondant à une innovation qui
voulait mettre l’accent sur l’écoute de la parole du patient, chose négligée dans l’exercice
médical de la fin du 19ième siècle, réduire l’analyste à cette seule attitude devient aujourd’hui
une caricature fétichiste. Le regard a son importance et la parole intriquante encore plus5. La
technique analytique ne peut se limiter au seul dispositif divan/fauteuil. Elle doit explorer les
avatars de la relation du face à face où l’analyste, tout en demeurant neutre et bienveillant,
s’expose d’avantage6.
Un patient qui cherche un analyste « parlant » nous informe de sa difficulté de
travailler seul. Sa solitude n’est pas cet espace tranquille ou l’intime est préservé. C’est un
espace peuplé de dangers, habité d’objets internes malformés qui demandent à être pensés
puis nommés avant d’être partagés et élaborés. C’est à cela que répond la notion de parole
intriquante, équivalent à la première création de la parole lors du passage de la domination du
principe de plaisir-déplaisir à la domination du principe de réalité. Lorsque ce passage est
marqué par des accidents de liaison, des pans du psychisme demeurent étrangers à la
possibilité de symbolisation et la création de symptômes ne va pas prendre le chemin de la
série névrotique mais celui du comportement, du soma et de ses limites diffuses de
l’impensable qui créent les addictions. Communément les psychosomaticiens nous ont appris
que l’analyste prête son préconscient à celui, défaillant, du patient. Mais comment est-ce que
cela se traduit dans la pratique ? Est-ce un exercice intellectuel de divination, comme Freud
l’avait laissé entendre dans ses articles tardifs sur la technique ? Est-ce ce jeu subtil entre les
deux scènes psychiques qui conduit à la construction ou, comme nous disons de nos jours à la
« co-pensée »7. Je suis très dubitatif sur le fait que ces explications suffisent pour bien décrire
4 Il est possible que je laisse l’impression aux analystes d’autres écoles d’enfoncer des portes ouvertes.
Cependant j’évoque l’expérience clinique en référence aux habitudes cliniques freudiennes.
5 J’évoque ici très brièvement une tentative de théorisation de cette attitude technique dans mon article : « La
fiabilité de l’objet ». Rev. Fr..Psychanl. LXXII, 2008 (4), 1037-1051. Par ailleurs, il faut évoquer le bel ouvrage
de D. Quinodoz : Des mots qui touchent, Paris, PUF, 2002, dans lequel un trouve la notion de la « parole
incarnée », qui me trouve d’accord.
6 Cf. les interrogations de R. Cahn La fin du divan? Paris, Odile Jacob, 2002.
7 Cf. D. Widlöcher « La positivité de l’inconscient ». In L’esprit du temps, 18, 1988, 14-17. Widlöcher introduit
cette notion pour montrer à quel point le travail mental de l’analyste dépend de celui de l’analysant.
3
le travail de l’analyste lorsque nous sommes dans des situations où les enjeux narcissiques
sont prépondérants. Les notions analytiques qui décrivent les phénomènes névrotiques
s’avèrent insuffisantes. Au mieux nous pouvons les considérer comme des résultantes au sens
de la géométrie analytique. En face des phénomènes de la série narcissique il faut apprendre à
faire avec des composantes qui n’ont pas encore abouti à ces résultantes qui caractérisent un
appareil psychique doté d’une certaine autonomie de fonctionnement. Pour donner un
exemple, l’intégration des positions schizo-paranoïde et dépressive au sens kleinien n’a pas
été efficiente, ou encore en terme bioniens la transformation d’éléments béta en alpha n’a pas
été suffisamment bonne. Le jeu de la régression dans la séance risque par conséquent d’être
dangereux. Le transfert dans ces situations n’a pas la valeur de points de résistance comme
dans les enjeux de la névrose. En revanche, il faut voir la répétition transférentielle comme
des tentatives de communication infantile souvent avec le secret espoir d’être compris, mais
parfois aussi avec le désespoir de ne pas avoir été compris. L’analyste est donc dans
l’obligation d’inventer face à ce qu’il percevra comme communication transférentielle8.
Si nous revenions à la rencontre avec Madeleine. Troisième enfant de sa famille, elle
s’est toujours sentie rejetée ou au mieux reléguée à une place d’enfant qui ne doit pas poser de
problèmes. Elle a grandi dans l’ombre de sa mère qui s’est rapidement débarrassée de son
mari et a confié les enfants à des domestiques. Les deux aînés après des débuts prometteurs
ont stagné dans une médiocrité sociale, au regard des performances parentales, et ont connu
des malheurs divers. Le frère a quitté un exercice d’ingénieur et est devenu un consommateur
régulier de substances toxiques. La soeur n’a jamais réussi à percer dans le milieu de l’édition
malgré le carnet d’adresses des parents et traverse une existence de sacrifice apparent,
s’occupant d’un époux fréquemment malade. Madeleine a réussi à s’éloigner
géographiquement du milieu familial et à devenir une enseignante universitaire. Sa vie a failli
prendre un tournant rêvé avec la rencontre d’un homme qu’elle a aimé avant de connaître une
trahison inexplicable et l’effondrement psychique.
Elle raconte à voix basse cette tranche de vie sans me regarder, une sorte de plainte
silencieuse, me faisant penser à une personne qui risque de s’éteindre. Dans la mesure où elle
avait spécifié quelque chose de ce qu’elle attendait, j’ai été très attentif à la manière dont elle
tenterait de chercher le contact avec l’analyste. J’ai donc considéré la particularité de sa
demande initiale et de sa présentation lors des premières minutes de la rencontre comme un
tentative de communication infra verbale. Ceci m’a fait penser à un enfant s’évanouissant qui
8 Cf. les développements entres autres de H. Rosenfeld « Contribution to the psychpathology of Psychotic
States : the importance of projective identification in the ego structure and the object relations of psychotic
patients ». In J. Steiner (ed.) Rosenfeld in Retrospect. London, Routledge, 2008, 131-149.
4
n’avait pas les forces de dire qu’il avait mal et encore moins de spécifier où il avait mal. Cela
m’a conduit à évoquer la douleur qu’elle a dû ressentir. Cette intervention a permis à
Madeleine de lever les yeux et d’engager la relation sur le mode interrogatif. « Comment
avais-je pu deviner ? ».
Il est important de commenter ce petit échange d’apparence insignifiante et d’une très
grande banalité. Techniquement on se rappellera des interventions des kleiniens au début de
leur aventure, avant qu’ils ne fondent leur école. Ainsi procédait Mélanie Klein qui proposait
des interprétations au petit Richard9 qui dans un sens classique pourraient apparaître
« sauvages ». De même Segal et Rosenfeld, à sa suite, interprétaient très vite et directement.
Je ne suis pas sûr, d’ailleurs, que le terme d’interprétation soit approprié. Une intervention
rapide crée un espace potentiel qui n’est pas encore du transfert au sens classique. Tout au
plus est-il potentiellement un carrefour de communication fragile, qui peut aussi bien s’ouvrir
vers la création d’un espace d’alliance transférentielle ou prendre le virage de la persécution.
Il est assez évident que cette intervention vient d’une empathie avec le patient. Communiquer
à partir de celle-ci vise à surprendre, voire déstabiliser un patient qui communique son retrait
par des attitudes corporelles et infra verbales. C’est une tentative de le ramener vers un espace
d’échange ouvert, alors que son attitude manifeste une fermeture qui permet de spéculer sur
une enfance avec des problèmes de communication, mais qui ne pourra être vérifié qu’au
cours de la cure. Il ne s’agit donc pas d’une interprétation au sens propre, ne portant pas sur
un contenu et pas plus sur un contenant. Il s’agit d’une activité psychique de l’analyste qui
signifie son effort d’établir un contact au moyen de sa compréhension d’un état affectif qui
n’arrive pas jusqu’à une symbolique partagée (le langage) et qui éventuellement a rencontré
des obstacles dans ses symbolisations premières. Plus on est près de l’état affectif, plus on est
efficient dans cet effort. Il est important aussi de montrer une capacité à verbaliser cette
empathie sans agresser le patient qui éprouve une difficulté à le faire. En effet, dans notre
manière d’intervenir il faut prendre en considération les capacités d’assimilation du patient. Si
le patient se sent trop éloigné du mode de fonctionnement de l’analyste, il se refermera
davantage ou il prendra une attitude admirative qui n’est que le pendant positif d’une attitude
de retrait. Nous sommes dans le domaine des identifications primaires à savoir des formes
primaires de lien à l’objet. Si donc notre hypothèse, face à une attitude de retrait, est celle
d’une identification primaire difficile il ne faut pas répéter la blessure. On peut par conséquent
expliquer le processus en jeu et faire une tentative rapide de cette spéculation sur l’enfance,
que je viens de mentionner, tentative qui montre qu’on possède un outil de penser qui est
9 Cf. M. Klein (1961) Psychanalyse d’un enfant. Bibliothèque des Introuvables, Paris, Tchou, 2002.
5
orienté vers une exploration du psychisme, qui lie l’ici et maintenant avec un jadis et ailleurs.
De cette façon on permet au patient de s’identifier au mode de penser de l’analyste ce qui
ouvre le processus d’investissement du champ de la relation. Je tente ici de montrer l’action
intriquante de la parole à l’endroit des blessures narcissiques.
Suivant mon idée j’ai expliqué à Madeleine que, pour moi, à partir du moment
où quelqu’un cherchait à me rencontrer dans le cadre analytique, je considérais ses paroles et
autres moyens de communication comme autant d’indications d’une souffrance que j’étais
appelé à comprendre. J’ai rappelé la dimension de sa demande spécifique qui me donnait une
indication d’un besoin d’analyste qui devrait être à même de vite saisir une souffrance à partir
de l’infra verbal et de la traduire dans le verbal, ce qui me faisait penser à des besoins d’une
histoire infantile qui, peut-être, avait connu de situations de cette sorte. Madeleine a paru
soulagée même si je n’étais pas sûr qu’elle suivait toutes mes explications. Je pense qu’elle
observait quelqu’un qui l’investissait, ce dont elle avait manifestement besoin.
Nous voyons là les limites de la technique du miroir réfléchissant, qui face à des
attitudes de retrait ne ferait que renvoyer la souffrance de l’hémorragie narcissique. En même
temps nous nous trouvons sur le terrain glissant des innovations techniques des années 1920,
c’est-à-dire toute la trajectoire qui a mené Ferenczi de la technique active à l’analyse
mutuelle10. Ce pionnier de la psychanalyse s’est aventuré bien au delà des indications
diagnostiques et techniques de Freud et nous a laissé des précieuses orientations sur ce qu’on
peut faire ainsi que sur les dangers qui nous guettent. Dans son analyse du cas R. N., cas
princeps de cette mésaventure qui constitue l’analyse mutuelle, Ferenczi pousse dans ses
derniers retranchements l’idée que la résistance au traitement est la résistance de l’analyste,
disant dès 1930, ce que j’évoque plus modestement, à savoir que les changements doivent
venir des deux côtés si l’on veut avancer.
Au fond, il s’agit de revenir à cette attitude qui caractérisait Freud lors de sa
correspondance avec Fliess. Dans la lettre du 15 octobre 1897, il fait part de sa découverte de
l’importance du mythe d’OEdipe dans l’analyse des psychonévroses. Cependant il est essentiel
de saisir le changement de paradigme dans l’attitude médicale. Freud dit avoir découvert chez
lui comme chez les patients l’importance de ce mythe dans la genèse des phénomènes
névrotiques. Autrement dit, la ligne de séparation entre normal et pathologique est abolie et il
n’y a qu’un fonctionnement psychique humain à explorer, chez lui comme chez le patient. Et
la compréhension du patient nécessite l’avancement de la compréhension du fonctionnement
de l’analyste. Sauf qu’il ne faut plus s’arrêter à l’ « OEdipe » !
10 Cf. notamment son Journal Clinique, Paris, Payot, 1985.
6
Je vais passer sur quelques mois de cette cure, qui s’était bien engagée et évoquer
quelques mouvements transférentiels pour illustrer les idées que j’évoque en vrac. Madeleine
venait régulièrement, avançait dans ses réflexions, rêvait plus facilement et faisait moins de
cauchemars. Cependant après chaque interruption pour les vacances scolaires, à l’occasion
des quelles elle visitait sa famille, elle revenait à peu de choses près dans la situation de
souffrance initiale. Bien sûr elle récupérait vite, mais cette répétition me troublait, m’intriguait
et finissait par m’agacer. Un an après le début du travail analytique, la patiente a pris
l’habitude au retour de ses vacances de venir avec un cadeau. Elle avait observé en jetant un
coup d’oeil sur ma bibliothèque que j’avais un intérêt pour l’histoire ; elle ne fait partie pas
des patients qui font des recherches sur Google. Elle venait donc tantôt avec une coupure d’un
article de journal, tantôt avec un article qui pourrait m’intéresser, de son point de vue. Au
départ j’acceptais poliment sans savoir ce que j’allais en faire. Timeo Danaos et dona
ferentes ! Je n’avais pas décidé si j’allais ouvrir un dossier, comme pour les dessins des
enfants ou si j’allais lui demander le sens de son geste, qui cachait une ouverture
transférentielle peu claire. Sans vraiment me décider j’ai lu un de « ses articles » et l’idée s’est
imposée à moi qu’elle essayait de m’exposer ses fantasmes sur mon intérêt sur l’histoire,
comme elle avait essayé de montrer sans succès ses carnets scolaires à ses parents. Cette idée
a induit chez moi une grande tristesse. Un kleinien aurait évoqué ici des phénomènes de
communication par identification projective11. Le problème demeure sur la façon dont on va
faire face à ce symptôme dans la cure. Aussi, ai-je laissé cette interrogation ouverte.
Cependant une chose curieuse se passait dans ma position doctrinale de psychanalyste
s’intéressant à l’histoire. Je dois dire que par goût personnel et par conviction théorique
j’avais une nette préférence pour Thucydide au détriment d’Hérodote que je rangeais dans la
catégorie des « conteurs d’histoires ». Au contact de Madeleine et de ses « cadeaux », je
glissais imperceptiblement vers une attitude plus indulgente à l’égard du père de l’histoire et
découvrais cet univers du respect de la différence qui inspire ses livres, même si la
construction épistémologique est plus faible au regard de son rival. Cette attitude provoquait
chez moi une sorte d’envie de bavardage avec Madeleine à l’occasion des ses remises de
coupures. Je l’ai donc « fait bavarder » sur ses idées et ses travaux, ce qui l’a énormément
surprise. Elle a pu parler de ce que j’avais formulé mentalement comme hypothèse à savoir
d’une situation parentale pas loin d’une des variantes de la figure de la mère morte d’André
Green : des parents présents physiquement mais sourds et muets quant à la réalité des besoins
d’un enfant.
11 Cf. H. Rosenfeld o. c.
7
Je dois de nouveau commenter ce petit échange. L’aspect répétitif du geste de
Madeleine lui conférait le statut de symptôme. Symptôme cependant dans un transfert de
qualité narcissique, l’analyste n’étant pas, de ce fait, vraiment identifié et différencié. Ce qui
était important à mes yeux avant la décision de la « faire bavarder », était le changement
produit en moi, imperceptiblement, autant dire inconsciemment, et qui concernait le geste de
la patiente. Si donc l’analyste peut changer c’est aussi un espoir que les objets internes figés
peuvent également bouger !
Cependant les interventions à partir de ces phénomènes doivent rester en deçà d’une
verbalisation directe. Seuls des colorations de la voix, des changements imperceptibles de
choix de mots ou d’attitudes doivent dévoiler ces changements que l’analysant saisira
lorsqu’il sera prêt12. L’analyste vit ces moments à son rythme et parfois comprend plus vite
que l’analysant, parfois seulement à l’occasion de ses prises de distance qui sont ses moments
d’autoanalyse. Côté analysant les interventions de ce type et dans cette atmosphère là, vont à
l’endroit et au moment mythique de l’histoire développementale que Winnicott a théorisé
comme unité somato-psychique.
Je laisserai Madeleine et sa cure pour des développements ultérieurs et reviendrai au
titre de mon écrit qui risque de paraître énigmatique. Pour donner un fondement théorique à m
propos qui, vous l’aurez compris est basée sur la distinction entre souvenirs et traces
mnésiques, distinction qui fait son apparition dès le travail sur « l’homme aux loups », il m’a
fallu recourir aux réflexions contenues dans le « projet pour une psychologie scientifique »,
notamment les sections sur l’expérience de satisfaction et la remémoration13. Dans la situation
originelle de désaide (Hilflosigkeit) Freud fait dépendre l’inscription mnésique du rapport au
premier objet. Si ce rapport est satisfaisant nous aurons les avatars des destins névrotiques :
refoulement et effort de remémoration puis élaboration. Mais si dans ce processus originaire
l’appareil psychique a connu les mésaventures de rencontres plus complexes ayant recours à
des mécanismes plus coûteux tels le déni et le clivage, il devient évident que le traitement de
12 A ce sujet je dois dire que je suis opposé à la technique du courant inter-subjectiviste américain du « selfdisclosure
», auto-dévoilement. De même, selon mon point de vue, il faut éviter des tentations réparatrices ou de
« résilience » et rester sur le seul terrain de l’élaboration psychique.
13 Sections 11 et 17. « L’organisme est d’abord incapable d’amener l’action spécifique. Cette action se produit au
moyen d’une aide étrangère, quand une personne ayant de l’expérience est rendue attentive à l’état de l’enfant
du fiat de l’éconduction qui emprunte la voie de la modification interne. Cette voie d’éconduction acquiert une
fonction secondaire extrêmement importante, celle de se faire comprendre, et le désaide initial de l’être humain
est la source originaire de tous les motifs moraux. » (p. 626).
« Supposons que l’objet qui fournit la perception soit semblable au sujet, un proche (Nebenmensch). L’intérêt
théorique s’explique alors aussi par le fait qu’un tel objet est en même temps le premier objet de satisfaction et
de surcroît le premier objet hostile, tout comme il est la seule puissance qui aide. C’est donc au contact de ce
prochain que l’être humain apprend à reconnaître ». (P. 639). Voir plus loin + 18 réalité.
8
ses inscriptions devra être plus une compréhension et une reconnaissance, puis une coconstruction
qu’une prises de conscience à partir d’une remémoration. Dans cette voie de
transformation l’appareil psychique de l’analyste est plus exposé à des transformations que
j’ai essayé de décrire. Aussi son expérience de transformation sert de terrain aux
modifications de l’analysant. Le changement imperceptible conduit un analysant à pouvoir, à
certains moments assumer sa vie et, au carrefour qui peut mener à l’enfer de la répétition, le
mener plutôt vers la voie de ce que Bion définit comme transformation14. Je focalise sur le
moment repérable de la prise de conscience de cette modification psychique radicale tout en
sachant que le processus est bien plus long.
Le point de départ de cette réflexion tire son origine de la clinique des psychoses que
j’ai exploré ailleurs15. Je pense cependant que les paramètres de la pensée que j’introduis nous
permettent de considérer ce travail comme travail d’un analyste sans utiliser les vocables
« nobles, idéalisantes » de cure type ou « péjoratifs » de psychothérapie. L’enjeu est de
pouvoir inclure ces traitements dans notre champs théorico-clinique et dépasser les dilemmes
qui laisseront en friche la clinique actuelle.
14 W. Bion Transformations, W. Heinemann, London, 1965.
15 N. Gougoulis Les moments d’ouverture dans la psychose. Un hommage à la pensée de Piera Aulagnier.
Topique, 2001, 76, 19-30

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