LIBROS, ARTÍCULOS Y CONFERENCIAS ASOCIACIÓN EUROPEA DE HISTORIA DEL PSICOANÁLISIS
Psychanalyse ou psychothérapie un faux dilemme face à la demande
actuelle1
icolas Gougoulis - Paris*
La demande psychanalytique actuelle met le praticien en situation de réfléchir aux
paramètres théoriques et techniques quil est obliger de considérer à partir du moment où il
pose lindication dune écoute psychanalytique possible. En effet, la majorité des problèmes
psychologiques actuels relèvent du domaine narcissique, dans cette galaxie diagnostique que
lon essaie de définir avec les termes détat limite ou borderline. Certains collègues
choisissent de maintenir la position classique de la cure type dautres recourent à des
traitements en face à face, moment fréquent à partir duquel lon définit une psychothérapie ;
Dautres encore comme Marilia Aïsenstain essaient de provoquer notre réflexion en affirmant
que la psychothérapie psychanalytique nexiste pas2. Dans ma brève intervention je vais
essayer de réfléchir sur un cas clinique, qui dentrée présentait une particularité de la
demande. Je suis conscient que mon propos restera plus sur une série de questions, mais mon
objectif ultime est de tenter de sortir de ce que je considère comme un faux dilemme dans la
mesure où je pense que quelque soit le choix technique, la pensée et léthique analytique
demeurent les mêmes.
Freud se rend compte que la pathologie narcissique ne relève pas dun problème de
mémoire au sens simple. Il ne sagit plus de réminiscence ou d « oubli ». Ces écartements ou
reviviscences du champ de la conscience quil théorise en tant que défense puis refoulement
comme il en a pu faire lhypothèse pour les psychonévroses. Mais il sagit bien de la qualité
des premières inscriptions psychiques et des mécanismes psychiques qui les traitent qui
posent problème. Par conséquent Freud se trouvait dans lobligation de réinventer sa théorie
de lappareil psychique et des mécanismes de son fonctionnement, pour étayer vers la fin de
sa vie, en 1937, la théorisation sur le clivage et la technique de la construction.
En choisissant cet angle dapproche, il devient évident que mon point de vue est
clinique. La clinique de la souffrance humaine où la compréhension de ce quon fait ne vient
quaprès coup. Clinique où lintuition et lempathie prennent le pas sur des considérations
techniques et théoriques. La compréhension de lanalyste est souvent un produit dune
1 Conférence à la soirée : Psychanalyse ou psychothérapie organisée par R. Goldstein Barcelone 24 avril 2009.
; Psychiatre, Praticien hospitalier (ASM13), Psychanalyste (SPP), secrétaire scientifique AIHP.
2 M. Aïsenstain « Contre la notion de psychothérapie psychanalytique ». In D. Widlöcher (dir.) Psychanalyse et
Psychothérapie. Ramonville, Erès, 2008, 119-132.
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appréhension fulgurante, un saisissement surprenant qui loblige à une poursuite du travail
autoanalytique, censé être constant. Si on espère favoriser un changement des patients de type
narcissique, on apprend que ceci ne va pas sans changement dans la personne de lanalyste.
Cest pour cette raison que souvent il est très difficile de rendre compte de ce type de cures.
Pour bien travailler le praticien crée ou, devrais-je dire permet lapparition dune sorte de
« bulle » symbiotique au sens psychique, de laquelle on sort à la fin de la séance mais qui
existe en latence de manière plus permanente. Ecrire sur cela met à distance des phénomènes
et les cerne par des mots qui ne rendent que de manière approximative la vérité de léprouvé,
du vécu dune séance ou dune séquence de cure.
Ces patients viennent avec des demandes floues de mal-être, de sensations de ne pas
habiter leurs corps. Souvent dailleurs, il sagit des deuxièmes et troisièmes tentatives de venir
à bout de problèmes que des efforts analytiques précédents ont laissé sans solution. Dans
quelques cas les relations analytiques ont rencontré des impasses et même des mésaventures
transférentielles a priori imprévisibles. Je ne parle pas seulement des transferts érotisés, des
passages à lacte du côté patient mais aussi des transgressions du côté de lanalyste qui pour le
moins mettent à mal le cadre et parfois mettent le patient en danger psychique.
En voulant rester clinique je dois dire demblée que mon effort théorisant constant en
exercice libéral a bénéficié dune réflexion venant de lexercice psychiatrique dans un centre
daccueil et de crise. Cette expérience ma amené à considérer la crise psychique comme un
cheminement empruntant à lenvers la construction initiale de lappareil psychique, idée qui
trouve son origine dans les écrits de Winnicott3. Aussi je conçois lespace de la rencontre où le
narcissisme est en jeu selon un certain nombre de composantes qui sont constitutives de la
résultante que nous abordons comme situation clinique. La réflexion ma amené à envisager
la relation analytique lors de ces rencontres avec une prudence technique que je vais
mefforcer de décrire à travers quelques moments cliniques dune cure.
Madeleine est venue me voir dans un état de grande douleur psychique et physique. Sa
petite cinquantaine avait déjà connu une évolution cancéreuse guérie récemment. Cependant
elle se trouvait dans un désert relationnel. Elle venait de rompre une relation avec un homme
quelle avait beaucoup aimé, à la suite de quoi, elle a eu recours à une alcoolisation dabord
mondaine, puis plus importante pour remédier à sa douleur dépressive. Ce recours chimique
devenant de plus en plus encombrant et la poussant à une désocialisation, la amené enfin à
chercher de laide, ce qui était auparavant une démarche impensable pour elle. En cherchant
3 D.W. Winnicott, La crainte de leffondrement et autres situations cliniques. Paris, Gallimard, 2000.
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dans son entourage amical, elle a précisé quelle souhaitait trouver un analyste qui parle.
Cest avec cette demande spécifique quelle sest présentée.
Il faut dire, à ce point de mon récit, que ce type de demande est devenu de plus en plus
fréquent de lexercice en ville. De mon point de vue nous avons une série dexplications.
Dun côté la pathologie de ville connaît une évolution vers la fragilité narcissique, de lautre
côté lattitude analytique du miroir réfléchissant est devenue insuffisante comme seule arme
thérapeutique4. En effet, si le silence était une arme correspondant à une innovation qui
voulait mettre laccent sur lécoute de la parole du patient, chose négligée dans lexercice
médical de la fin du 19ième siècle, réduire lanalyste à cette seule attitude devient aujourdhui
une caricature fétichiste. Le regard a son importance et la parole intriquante encore plus5. La
technique analytique ne peut se limiter au seul dispositif divan/fauteuil. Elle doit explorer les
avatars de la relation du face à face où lanalyste, tout en demeurant neutre et bienveillant,
sexpose davantage6.
Un patient qui cherche un analyste « parlant » nous informe de sa difficulté de
travailler seul. Sa solitude nest pas cet espace tranquille ou lintime est préservé. Cest un
espace peuplé de dangers, habité dobjets internes malformés qui demandent à être pensés
puis nommés avant dêtre partagés et élaborés. Cest à cela que répond la notion de parole
intriquante, équivalent à la première création de la parole lors du passage de la domination du
principe de plaisir-déplaisir à la domination du principe de réalité. Lorsque ce passage est
marqué par des accidents de liaison, des pans du psychisme demeurent étrangers à la
possibilité de symbolisation et la création de symptômes ne va pas prendre le chemin de la
série névrotique mais celui du comportement, du soma et de ses limites diffuses de
limpensable qui créent les addictions. Communément les psychosomaticiens nous ont appris
que lanalyste prête son préconscient à celui, défaillant, du patient. Mais comment est-ce que
cela se traduit dans la pratique ? Est-ce un exercice intellectuel de divination, comme Freud
lavait laissé entendre dans ses articles tardifs sur la technique ? Est-ce ce jeu subtil entre les
deux scènes psychiques qui conduit à la construction ou, comme nous disons de nos jours à la
« co-pensée »7. Je suis très dubitatif sur le fait que ces explications suffisent pour bien décrire
4 Il est possible que je laisse limpression aux analystes dautres écoles denfoncer des portes ouvertes.
Cependant jévoque lexpérience clinique en référence aux habitudes cliniques freudiennes.
5 Jévoque ici très brièvement une tentative de théorisation de cette attitude technique dans mon article : « La
fiabilité de lobjet ». Rev. Fr..Psychanl. LXXII, 2008 (4), 1037-1051. Par ailleurs, il faut évoquer le bel ouvrage
de D. Quinodoz : Des mots qui touchent, Paris, PUF, 2002, dans lequel un trouve la notion de la « parole
incarnée », qui me trouve daccord.
6 Cf. les interrogations de R. Cahn La fin du divan? Paris, Odile Jacob, 2002.
7 Cf. D. Widlöcher « La positivité de linconscient ». In Lesprit du temps, 18, 1988, 14-17. Widlöcher introduit
cette notion pour montrer à quel point le travail mental de lanalyste dépend de celui de lanalysant.
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le travail de lanalyste lorsque nous sommes dans des situations où les enjeux narcissiques
sont prépondérants. Les notions analytiques qui décrivent les phénomènes névrotiques
savèrent insuffisantes. Au mieux nous pouvons les considérer comme des résultantes au sens
de la géométrie analytique. En face des phénomènes de la série narcissique il faut apprendre à
faire avec des composantes qui nont pas encore abouti à ces résultantes qui caractérisent un
appareil psychique doté dune certaine autonomie de fonctionnement. Pour donner un
exemple, lintégration des positions schizo-paranoïde et dépressive au sens kleinien na pas
été efficiente, ou encore en terme bioniens la transformation déléments béta en alpha na pas
été suffisamment bonne. Le jeu de la régression dans la séance risque par conséquent dêtre
dangereux. Le transfert dans ces situations na pas la valeur de points de résistance comme
dans les enjeux de la névrose. En revanche, il faut voir la répétition transférentielle comme
des tentatives de communication infantile souvent avec le secret espoir dêtre compris, mais
parfois aussi avec le désespoir de ne pas avoir été compris. Lanalyste est donc dans
lobligation dinventer face à ce quil percevra comme communication transférentielle8.
Si nous revenions à la rencontre avec Madeleine. Troisième enfant de sa famille, elle
sest toujours sentie rejetée ou au mieux reléguée à une place denfant qui ne doit pas poser de
problèmes. Elle a grandi dans lombre de sa mère qui sest rapidement débarrassée de son
mari et a confié les enfants à des domestiques. Les deux aînés après des débuts prometteurs
ont stagné dans une médiocrité sociale, au regard des performances parentales, et ont connu
des malheurs divers. Le frère a quitté un exercice dingénieur et est devenu un consommateur
régulier de substances toxiques. La soeur na jamais réussi à percer dans le milieu de lédition
malgré le carnet dadresses des parents et traverse une existence de sacrifice apparent,
soccupant dun époux fréquemment malade. Madeleine a réussi à séloigner
géographiquement du milieu familial et à devenir une enseignante universitaire. Sa vie a failli
prendre un tournant rêvé avec la rencontre dun homme quelle a aimé avant de connaître une
trahison inexplicable et leffondrement psychique.
Elle raconte à voix basse cette tranche de vie sans me regarder, une sorte de plainte
silencieuse, me faisant penser à une personne qui risque de séteindre. Dans la mesure où elle
avait spécifié quelque chose de ce quelle attendait, jai été très attentif à la manière dont elle
tenterait de chercher le contact avec lanalyste. Jai donc considéré la particularité de sa
demande initiale et de sa présentation lors des premières minutes de la rencontre comme un
tentative de communication infra verbale. Ceci ma fait penser à un enfant sévanouissant qui
8 Cf. les développements entres autres de H. Rosenfeld « Contribution to the psychpathology of Psychotic
States : the importance of projective identification in the ego structure and the object relations of psychotic
patients ». In J. Steiner (ed.) Rosenfeld in Retrospect. London, Routledge, 2008, 131-149.
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navait pas les forces de dire quil avait mal et encore moins de spécifier où il avait mal. Cela
ma conduit à évoquer la douleur quelle a dû ressentir. Cette intervention a permis à
Madeleine de lever les yeux et dengager la relation sur le mode interrogatif. « Comment
avais-je pu deviner ? ».
Il est important de commenter ce petit échange dapparence insignifiante et dune très
grande banalité. Techniquement on se rappellera des interventions des kleiniens au début de
leur aventure, avant quils ne fondent leur école. Ainsi procédait Mélanie Klein qui proposait
des interprétations au petit Richard9 qui dans un sens classique pourraient apparaître
« sauvages ». De même Segal et Rosenfeld, à sa suite, interprétaient très vite et directement.
Je ne suis pas sûr, dailleurs, que le terme dinterprétation soit approprié. Une intervention
rapide crée un espace potentiel qui nest pas encore du transfert au sens classique. Tout au
plus est-il potentiellement un carrefour de communication fragile, qui peut aussi bien souvrir
vers la création dun espace dalliance transférentielle ou prendre le virage de la persécution.
Il est assez évident que cette intervention vient dune empathie avec le patient. Communiquer
à partir de celle-ci vise à surprendre, voire déstabiliser un patient qui communique son retrait
par des attitudes corporelles et infra verbales. Cest une tentative de le ramener vers un espace
déchange ouvert, alors que son attitude manifeste une fermeture qui permet de spéculer sur
une enfance avec des problèmes de communication, mais qui ne pourra être vérifié quau
cours de la cure. Il ne sagit donc pas dune interprétation au sens propre, ne portant pas sur
un contenu et pas plus sur un contenant. Il sagit dune activité psychique de lanalyste qui
signifie son effort détablir un contact au moyen de sa compréhension dun état affectif qui
narrive pas jusquà une symbolique partagée (le langage) et qui éventuellement a rencontré
des obstacles dans ses symbolisations premières. Plus on est près de létat affectif, plus on est
efficient dans cet effort. Il est important aussi de montrer une capacité à verbaliser cette
empathie sans agresser le patient qui éprouve une difficulté à le faire. En effet, dans notre
manière dintervenir il faut prendre en considération les capacités dassimilation du patient. Si
le patient se sent trop éloigné du mode de fonctionnement de lanalyste, il se refermera
davantage ou il prendra une attitude admirative qui nest que le pendant positif dune attitude
de retrait. Nous sommes dans le domaine des identifications primaires à savoir des formes
primaires de lien à lobjet. Si donc notre hypothèse, face à une attitude de retrait, est celle
dune identification primaire difficile il ne faut pas répéter la blessure. On peut par conséquent
expliquer le processus en jeu et faire une tentative rapide de cette spéculation sur lenfance,
que je viens de mentionner, tentative qui montre quon possède un outil de penser qui est
9 Cf. M. Klein (1961) Psychanalyse dun enfant. Bibliothèque des Introuvables, Paris, Tchou, 2002.
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orienté vers une exploration du psychisme, qui lie lici et maintenant avec un jadis et ailleurs.
De cette façon on permet au patient de sidentifier au mode de penser de lanalyste ce qui
ouvre le processus dinvestissement du champ de la relation. Je tente ici de montrer laction
intriquante de la parole à lendroit des blessures narcissiques.
Suivant mon idée jai expliqué à Madeleine que, pour moi, à partir du moment
où quelquun cherchait à me rencontrer dans le cadre analytique, je considérais ses paroles et
autres moyens de communication comme autant dindications dune souffrance que jétais
appelé à comprendre. Jai rappelé la dimension de sa demande spécifique qui me donnait une
indication dun besoin danalyste qui devrait être à même de vite saisir une souffrance à partir
de linfra verbal et de la traduire dans le verbal, ce qui me faisait penser à des besoins dune
histoire infantile qui, peut-être, avait connu de situations de cette sorte. Madeleine a paru
soulagée même si je nétais pas sûr quelle suivait toutes mes explications. Je pense quelle
observait quelquun qui linvestissait, ce dont elle avait manifestement besoin.
Nous voyons là les limites de la technique du miroir réfléchissant, qui face à des
attitudes de retrait ne ferait que renvoyer la souffrance de lhémorragie narcissique. En même
temps nous nous trouvons sur le terrain glissant des innovations techniques des années 1920,
cest-à-dire toute la trajectoire qui a mené Ferenczi de la technique active à lanalyse
mutuelle10. Ce pionnier de la psychanalyse sest aventuré bien au delà des indications
diagnostiques et techniques de Freud et nous a laissé des précieuses orientations sur ce quon
peut faire ainsi que sur les dangers qui nous guettent. Dans son analyse du cas R. N., cas
princeps de cette mésaventure qui constitue lanalyse mutuelle, Ferenczi pousse dans ses
derniers retranchements lidée que la résistance au traitement est la résistance de lanalyste,
disant dès 1930, ce que jévoque plus modestement, à savoir que les changements doivent
venir des deux côtés si lon veut avancer.
Au fond, il sagit de revenir à cette attitude qui caractérisait Freud lors de sa
correspondance avec Fliess. Dans la lettre du 15 octobre 1897, il fait part de sa découverte de
limportance du mythe dOEdipe dans lanalyse des psychonévroses. Cependant il est essentiel
de saisir le changement de paradigme dans lattitude médicale. Freud dit avoir découvert chez
lui comme chez les patients limportance de ce mythe dans la genèse des phénomènes
névrotiques. Autrement dit, la ligne de séparation entre normal et pathologique est abolie et il
ny a quun fonctionnement psychique humain à explorer, chez lui comme chez le patient. Et
la compréhension du patient nécessite lavancement de la compréhension du fonctionnement
de lanalyste. Sauf quil ne faut plus sarrêter à l « OEdipe » !
10 Cf. notamment son Journal Clinique, Paris, Payot, 1985.
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Je vais passer sur quelques mois de cette cure, qui sétait bien engagée et évoquer
quelques mouvements transférentiels pour illustrer les idées que jévoque en vrac. Madeleine
venait régulièrement, avançait dans ses réflexions, rêvait plus facilement et faisait moins de
cauchemars. Cependant après chaque interruption pour les vacances scolaires, à loccasion
des quelles elle visitait sa famille, elle revenait à peu de choses près dans la situation de
souffrance initiale. Bien sûr elle récupérait vite, mais cette répétition me troublait, mintriguait
et finissait par magacer. Un an après le début du travail analytique, la patiente a pris
lhabitude au retour de ses vacances de venir avec un cadeau. Elle avait observé en jetant un
coup doeil sur ma bibliothèque que javais un intérêt pour lhistoire ; elle ne fait partie pas
des patients qui font des recherches sur Google. Elle venait donc tantôt avec une coupure dun
article de journal, tantôt avec un article qui pourrait mintéresser, de son point de vue. Au
départ jacceptais poliment sans savoir ce que jallais en faire. Timeo Danaos et dona
ferentes ! Je navais pas décidé si jallais ouvrir un dossier, comme pour les dessins des
enfants ou si jallais lui demander le sens de son geste, qui cachait une ouverture
transférentielle peu claire. Sans vraiment me décider jai lu un de « ses articles » et lidée sest
imposée à moi quelle essayait de mexposer ses fantasmes sur mon intérêt sur lhistoire,
comme elle avait essayé de montrer sans succès ses carnets scolaires à ses parents. Cette idée
a induit chez moi une grande tristesse. Un kleinien aurait évoqué ici des phénomènes de
communication par identification projective11. Le problème demeure sur la façon dont on va
faire face à ce symptôme dans la cure. Aussi, ai-je laissé cette interrogation ouverte.
Cependant une chose curieuse se passait dans ma position doctrinale de psychanalyste
sintéressant à lhistoire. Je dois dire que par goût personnel et par conviction théorique
javais une nette préférence pour Thucydide au détriment dHérodote que je rangeais dans la
catégorie des « conteurs dhistoires ». Au contact de Madeleine et de ses « cadeaux », je
glissais imperceptiblement vers une attitude plus indulgente à légard du père de lhistoire et
découvrais cet univers du respect de la différence qui inspire ses livres, même si la
construction épistémologique est plus faible au regard de son rival. Cette attitude provoquait
chez moi une sorte denvie de bavardage avec Madeleine à loccasion des ses remises de
coupures. Je lai donc « fait bavarder » sur ses idées et ses travaux, ce qui la énormément
surprise. Elle a pu parler de ce que javais formulé mentalement comme hypothèse à savoir
dune situation parentale pas loin dune des variantes de la figure de la mère morte dAndré
Green : des parents présents physiquement mais sourds et muets quant à la réalité des besoins
dun enfant.
11 Cf. H. Rosenfeld o. c.
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Je dois de nouveau commenter ce petit échange. Laspect répétitif du geste de
Madeleine lui conférait le statut de symptôme. Symptôme cependant dans un transfert de
qualité narcissique, lanalyste nétant pas, de ce fait, vraiment identifié et différencié. Ce qui
était important à mes yeux avant la décision de la « faire bavarder », était le changement
produit en moi, imperceptiblement, autant dire inconsciemment, et qui concernait le geste de
la patiente. Si donc lanalyste peut changer cest aussi un espoir que les objets internes figés
peuvent également bouger !
Cependant les interventions à partir de ces phénomènes doivent rester en deçà dune
verbalisation directe. Seuls des colorations de la voix, des changements imperceptibles de
choix de mots ou dattitudes doivent dévoiler ces changements que lanalysant saisira
lorsquil sera prêt12. Lanalyste vit ces moments à son rythme et parfois comprend plus vite
que lanalysant, parfois seulement à loccasion de ses prises de distance qui sont ses moments
dautoanalyse. Côté analysant les interventions de ce type et dans cette atmosphère là, vont à
lendroit et au moment mythique de lhistoire développementale que Winnicott a théorisé
comme unité somato-psychique.
Je laisserai Madeleine et sa cure pour des développements ultérieurs et reviendrai au
titre de mon écrit qui risque de paraître énigmatique. Pour donner un fondement théorique à m
propos qui, vous laurez compris est basée sur la distinction entre souvenirs et traces
mnésiques, distinction qui fait son apparition dès le travail sur « lhomme aux loups », il ma
fallu recourir aux réflexions contenues dans le « projet pour une psychologie scientifique »,
notamment les sections sur lexpérience de satisfaction et la remémoration13. Dans la situation
originelle de désaide (Hilflosigkeit) Freud fait dépendre linscription mnésique du rapport au
premier objet. Si ce rapport est satisfaisant nous aurons les avatars des destins névrotiques :
refoulement et effort de remémoration puis élaboration. Mais si dans ce processus originaire
lappareil psychique a connu les mésaventures de rencontres plus complexes ayant recours à
des mécanismes plus coûteux tels le déni et le clivage, il devient évident que le traitement de
12 A ce sujet je dois dire que je suis opposé à la technique du courant inter-subjectiviste américain du « selfdisclosure
», auto-dévoilement. De même, selon mon point de vue, il faut éviter des tentations réparatrices ou de
« résilience » et rester sur le seul terrain de lélaboration psychique.
13 Sections 11 et 17. « Lorganisme est dabord incapable damener laction spécifique. Cette action se produit au
moyen dune aide étrangère, quand une personne ayant de lexpérience est rendue attentive à létat de lenfant
du fiat de léconduction qui emprunte la voie de la modification interne. Cette voie déconduction acquiert une
fonction secondaire extrêmement importante, celle de se faire comprendre, et le désaide initial de lêtre humain
est la source originaire de tous les motifs moraux. » (p. 626).
« Supposons que lobjet qui fournit la perception soit semblable au sujet, un proche (Nebenmensch). Lintérêt
théorique sexplique alors aussi par le fait quun tel objet est en même temps le premier objet de satisfaction et
de surcroît le premier objet hostile, tout comme il est la seule puissance qui aide. Cest donc au contact de ce
prochain que lêtre humain apprend à reconnaître ». (P. 639). Voir plus loin + 18 réalité.
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ses inscriptions devra être plus une compréhension et une reconnaissance, puis une coconstruction
quune prises de conscience à partir dune remémoration. Dans cette voie de
transformation lappareil psychique de lanalyste est plus exposé à des transformations que
jai essayé de décrire. Aussi son expérience de transformation sert de terrain aux
modifications de lanalysant. Le changement imperceptible conduit un analysant à pouvoir, à
certains moments assumer sa vie et, au carrefour qui peut mener à lenfer de la répétition, le
mener plutôt vers la voie de ce que Bion définit comme transformation14. Je focalise sur le
moment repérable de la prise de conscience de cette modification psychique radicale tout en
sachant que le processus est bien plus long.
Le point de départ de cette réflexion tire son origine de la clinique des psychoses que
jai exploré ailleurs15. Je pense cependant que les paramètres de la pensée que jintroduis nous
permettent de considérer ce travail comme travail dun analyste sans utiliser les vocables
« nobles, idéalisantes » de cure type ou « péjoratifs » de psychothérapie. Lenjeu est de
pouvoir inclure ces traitements dans notre champs théorico-clinique et dépasser les dilemmes
qui laisseront en friche la clinique actuelle.
14 W. Bion Transformations, W. Heinemann, London, 1965.
15 N. Gougoulis Les moments douverture dans la psychose. Un hommage à la pensée de Piera Aulagnier.
Topique, 2001, 76, 19-30