LIBROS, ARTÍCULOS Y CONFERENCIAS ASOCIACIÓN EUROPEA DE HISTORIA DEL PSICOANÁLISIS
Le statut et les réglementations de la psychanalyse en
Espagne
Roberto M. Goldstein
Lorsque Jacques Sédat et Nicolas Gougoulis mont proposé de faire une
intervention dans cette Journée, je me suis trouvé face à un véritable
problème car pour ce qui est de la réglementation concernant la pratique de
la psychanalyse en Espagne, il se trouve que celle-ci est plutôt indirecte que
directe et si nous parlons de statut, le mot « psychanalyse » napparaît dans
aucune réglementation ni prescription officielle. Ceci peut déjà nous donner
une idée du manque denracinement de la psychanalyse aussi bien du point
de vue de la santé mentale dans la perspective de lÉtat que dans la société
et la culture espagnoles.
Parmi les services que prête le système national de la Santé, la
psychanalyse est exclue, sans quil soit spécifié si celle-ci est pratiquée par
des psychiatres ou des psychologues.
Mais je voudrais, de toutes façons commencer par parler des
réglementations qui conditionnent de façon indirecte lexercice de la
psychanalyse selon que lon soit médecin, psychologue ou ni lun ni lautre,
aussi bien dans le privé que du point de vue de lEtat.
A partir de lannée 1994, en Espagne, les médecins doivent
obligatoirement faire, après leurs études de médecine une formation qui
leur donne une spécialité, appelée MIR, ce qui signifie en espagnol :
Médecin Interne Résident. Sans cette formation, il est impensable de nos
jours de travailler dans un service hospitalier dépendant de la Santé
Publique ou être recruté par un service de santé. Les médecins qui avaient
obtenu leur diplôme avant 1994, même sils navaient pas de spécialité,
pouvaient continuer à travailler dans les services hospitaliers. Hors, ces
médecins appelés MESTOS, soit : médecins spécialistes sans diplôme
officiel (médicos especialistas sin título oficial), ont continué à travailler
sans difficultés jusquen 2003 environ. A partir de ce moment là, ils se sont
vus forcés à une régularisation et à une légalisation moyennant un examen
dans toutes les spécialités. Ceux dentre eux qui ne se présentaient pas à cet
examen ou qui ne le réussissaient pas restaient en dehors du circuit de lEtat.
Les conséquences de ce règlement nont pas tardé à se faire sentir: dans
les services de psychiatrie, le nombre de psychanalystes a commencé à
diminuer rapidement, aussi bien dans le cas des médecins recrutés que pour
ceux dentre eux qui assistaient à un service pour des fonctions de
supervision. En fait, il y avait une grande proportion de médecinspsychanalystes
qui se sont montrés réticents à passer un examen dont la
préparation demandait énormément de temps car elle avait une orientation
psychiatrique biologiste et la question dynamique se trouvait absente.
La situation avec laquelle nous nous confrontons à présent est que les
services de psychiatrie à orientation dynamique ont pratiquement disparu,
sauf quelques rares exceptions. Le service de psychiatrie de l « Hospital
Sant Joan de Déu » est un bon cas de figure : à lépoque où il était dirigé par
le Docteur Fernando Angulo, cétait un service exemplaire de psychiatrie
dynamique. Après le décès du Docteur Angulo, il sest peu à peu transformé
en un service de psychiatrie biologiste, et ce, surtout lors de cette dernière
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année où les thérapeutes à orientation dynamique se sont vus indirectement
coincés et expulsés. A titre dexemple, une des consignes est que les
patients ne sont pas patients des professionnels mais du service et ils
peuvent donc être reçus par un professionnel différent à chaque
consultation. Cette pratique sappelle « système du réseau ».
Pour ce qui est de la pratique privée, les médecins traitants qui font de la
psychanalyse peuvent agir sans rencontrer de problèmes, puisque lon
considère quil sagit là dun « acte médical », le mot psychanalyse ne
figure jamais, mais si ces médecins ne disposent pas du diplôme de
spécialiste en psychiatrie, leurs rapports concernant la santé mentale du
patient nont aucune valeur, ni vis-à-vis de la justice ni pour ce qui est du
remboursement de la part des mutuelles. Pour les patients qui demandent
des reçus leur permettant de se faire rembourser le prix de la consultation
par leur mutuelle, le psychanalyste est obligé de rédiger ces reçus sous la
forme dune consultation médicale, avec un diagnostique aussi « médical »
que possible. La seule exception est celle de lOrdre des Architectes dont la
mutuelle paye une certaine somme annuelle pour la psychothérapie à
condition quelle soit effectuée par un médecin.
Pour ce qui est des psychologues, depuis 1998, ces derniers sont obligés
de faire le PIR qui est léquivalent du MIR des médecins (en fait seulement
80 professionnels sont acceptés par an), afin de pouvoir travailler
cliniquement aussi bien du point de vue privé que pour lÉtat. Ceux dentre
eux qui travaillaient déjà avant cette date-là, ont dû obtenir des documents
permettant de démontrer leur formation et leur expérience afin dêtre
reconnus en tant que psychologues cliniques.
Mais, paradoxalement, ces psychologues allaient chercher des certificats
prouvant quils avaient fait des supervisions et une analyse auprès de
médecins psychanalystes qui eux, de leur côté, navaient pas le diplôme de
spécialistes en psychiatrie. Malgré tout, ces certificats étaient valables en
tant que témoignage de leur formation.
Dans ce cas, les psychologues qui travaillaient déjà dans des services
publiques ont continué et continuent de travailler puisquil ny a eu aucun
examen permettant de valider leur formation. Cest ainsi que, pour ce qui est
de la quantité, il ny a pas eu de véritable changement parmi les
psychologues à orientation dynamique dans le cadre des prestations de
lÉtat, mais dans les services de psychiatrie, leur statut nest pas le même
que celui des médecins.
En ce qui concerne les psychanalystes qui ne sont ni médecins ni
psychologues, mais font de la psychanalyse, ils ne peuvent recevoir des
patients que dans le privé et dans une situation de semi clandestinité,
autrement lOrdre des Psychologues peut les accuser dintrusion
professionnelle.
Il y a environ dix ans, la FEAP, la Fédération Espagnole dAssociations
de Psychothérapie, a été créée. Elle regroupe la plupart des écoles de
psychothérapie dEspagne et décerne le diplôme de psychothérapeute,
diplôme non reconnu officiellement. Les Associations qui conforment la
FEAP (environ 50) ont différentes orientations, surtout psychanalytiques et
systémiques. La FEAP lutte vainement depuis sa création afin dêtre
reconnue par les autorités et par la Santé Publique Espagnole.
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Il est donc clair que non seulement il ny a aucune réglementation
formelle quant à la pratique de la psychanalyse en Espagne, Mais quen
plus, nous pouvons affirmer quelle est ignorée et je voudrais de mon côté
rajouter quelle est même méprisée par lestablishment psychiatrique.
Comme je lai déjà dit, sa présence dans les services de psychiatrie a
fortement diminué, après avoir eu une forte pénétration pendant les années
70 et 80 avec larrivée des psychanalystes qui venaient dAmérique du Sud,
fuyant les dictatures, et tout particulièrement les argentins.
Mais quarrive-t-il dans les Universités ? En fait, pour ce qui est de la
formation des psychologues, il ne reste que des vestiges de la présence de la
psychanalyse dans les Universités. A Barcelone, il ny a que quelques
psychanalystes qui travaillent à lUniversité et aucun dentre eux na obtenu
de chaire. A Madrid même si la présence de la psychanalyse est plus
importante, elle nest de toute façon pas significative. Les psychologues
obtiennent leurs diplômes avec une méconnaissance quasi-totale et des idées
préconçues de la psychanalyse.
Par contre, il existe des diplômes de troisième cycle : masters et
doctorats, qui sont en général donnés par des écoles de psychothérapie et
sponsorisés par les Universités, surtout à Madrid et à Barcelone.
Daprès la thèse de doctorat présentée par un psychanalyste qui exerce à
Valence, le Docteur Vicente Bermejo Frígola, le fait que la présence de la
psychanalyse dans les universités espagnoles soit aussi faible et même
inexistante se doit à une politique universitaire où les professeurs contraires
à la psychanalyse se sont fortement et efficacement opposés à lintroduction
de chaires à orientation psychanalytique. Mais je suis de lavis, de même
que certains collègues locaux, que les psychanalystes qui exerçaient notre
métier à lépoque, cest-à-dire, avant tout les fondateurs de la SEP Société
Espagnole de Psychanalyse dont le siège se trouve à Barcelone, nont pas
suffisamment lutté afin dimposer leur présence dans les universités face
aux pressions reçues pour les éloigner et pour exclure la psychanalyse de
luniversité.
Par ailleurs, il me semble quil faut tenir compte des 40 ans de
franquisme, qui, avec une idéologie nationale catholique et une philosophie
qui nadmet aucune remise en question, na jamais laissé la place à un
développement de la psychanalyse sans pour autant lavoir attaquée
directement.
Lécrivain catalan Laura Freixas, dans un article publié dans le journal
La Vanguardia, se demande : « Quelle est la raison pour laquelle la
psychanalyse est si mal vue dans notre pays ? En France ou en Argentine, le
psychanalyste est une personne respectée, qui intervient sur la scène
publique dune façon tout à fait naturelle.
En revanche, dit-elle, en Espagne la psychanalyse est pratiquement
bannie de lUniversité et pour ce qui est du commun des gens, le cas de la
revue de vulgarisation Psychologies est très révélateur. En effet, ce
magazine donne une place importante dans sa version originale (en français)
à la façon psychanalytique denvisager les sujets, mais lédition espagnole
est différente : ici cest lentraide ou lautopromotion qui règnent de façon
absolue : pour la psychanalyse cela équivaut à comparer Disneyland avec le
Musée du Prado.
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Et ne parlons pas des intellectuels : sauf quelques rares exceptions
comme par exemple Esther Tusquets dans son roman « Para no volver,
relato de una cura psicoanalítica », -pour ne pas revenir, portrait dune cure
psychanalytique-, si jamais ils en parlent ce nest que pour le tourner au
ridicule. Deux exemples me reviennent facilement : dune part le roman de
Carmen Martín Gaite « ubosidad variable », où une psychanalyste (ou
psychologue ou psychiatre : il semblerait que lauteur ne fait pas de
différence) transforme ses patients soit en amis soit en amants et dautre
part, le film de Inés París et Daniela Fejerman « A mi madre le gustan las
mujeres » - ma mère aime les femmes- avec une analyste qui veut
évidemment coucher avec sa belle patiente ».
Lauteur continue : « il y a quelques jours, un colloque dont le titre était :
Ma relation avec Freud a eu lieu à Barcelone, à la bibliothèque Jaime
Fuster et les participants à ce colloque qui célébrait les 150 ans de la
naissance de Freud ont parlé de tout cela. La plupart des intervenants
navaient pas découvert loeuvre de Freud à lUniversité, cest en lisant
certains de ses livres quils lont découverte. En fait, Freud a été très vite
traduit à lespagnol, dès les années 1920, mais le franquisme lavait vite
banni car il était considéré subversif et juif ».
Lauteur finit son article en disant que : « Cest peut-être la raison pour
laquelle la fin du franquisme na pas réussi à libérer lintimité comme il
aurait été souhaitable: cest parce que nous continuons dêtre les héritiers de
cette attitude contre réformiste et baroque obsédée par lidée de montrer une
façade impressionnante, tout en cachant ce quil y a derrière elle, cest-àdire
ce que lon montre à lanalyste. Pour tout dire, la plupart des
intervenants au colloque dont le titre était parfaitement clair : « Ma relation
avec Freud », ont surtout parlé de loeuvre de Freud, des différentes écoles
psychanalytiques et, dans le meilleur des cas, de leur relation intellectuelle,
mais jamais personnelle avec lanalyse Il est clair que vouloir montrer en
public des questions intimes est en Espagne un tabou trop fort, même pour
ceux qui travaillent professionnellement avec la psychanalyse. Le dicton le
dit bien : les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés »
Dans un reportage pour le supplément culturel de la Vanguardia, réalisé à
Juan Goytisolo, écrivain barcelonais lui aussi, qui a vécu un long exil à
Paris, on lui a demandé lors de lentretien : Quels sont les principaux
problèmes de notre culture contemporaine ? (le sujet était la culture en
Espagne). Il a répondu : «La liste est longue le manque dintellectuels ne
dépendant pas du pouvoir politique, des partis ou des groupes
dentrepreneurs, labsence de critique indépendante, lendogamie des
professeurs et la bureaucratisation de luniversité, la survie de mythes
nostalgiques symétriquement opposées entre eux : lEspagne unique et les
nationalités périphériques et le cloisonnement de lenseignement qui
sensuit »
Il me semble que ces affirmations de Juan Goytisolo expliquent dans une
certaine mesure le manque de diffusion et même le rejet que produit la
psychanalyse en Espagne, que ce soit dans les médias ou à lUniversité,
mais aussi dans lensemble de la société espagnole, une société qui est donc
restée préfreudienne.
Dans ma pratique quotidienne jobserve une différence importante dans
les consultations réalisées par des patients espagnols, latino-américains et
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européens, en effet, tandis que ces deux derniers groupes ont dune façon
générale idée de consulter avec un psychanalyste, les espagnols, pour la
plupart, viennent voir « le psychologue » ou « le psychiatre ». De toutes
façons, le processus analytique pourra tout aussi bien avoir lieu si dans la
demande daide il existe un désir de se remettre en question et un bon
transfert se produit. À titre dexemple, je voudrais exposer le cas dune
femme espagnole, de 45 ans qui travaillait dans le domaine de la publicité et
qui est venue me voir, dérivée par un collègue, en disant que ce dernier lui
avait recommandé de faire une psychanalyse. Lorsque je lui ai demandé ce
que la psychanalyse représentait pour elle, elle ma répondu en riant : « des
blagues et Woody Allen », mais, malgré tout, jai été en mesure de faire du
bon travail avec cette personne.
Je suis en partie du même avis que Laura Freixas, mais par ailleurs, il est
possible de constater que les premiers psychanalystes espagnols, les
précurseurs, qui appartenaient à la I.P.A. nont pas tenté de diffuser la
psychanalyse et ils nont pas essayé non plus dinclure dans leur structure
des psychanalystes formés dans dautres sociétés.
La Société Espagnole de Psychanalyse, appartenant à la I.P.A. et dont le
siège se trouve à Barcelone, est une société fermée, hyper kleinienne,
verticaliste et catalaniste. Elle a fait quelques démarches timides pour se
rapprocher dun public non psychanalytique, mais ces démarches ont été
trop tièdes.
Comme je lai déjà dit, ils nont pas simplifié non plus lintégration de
psychanalystes provenant dautres latitudes. Nous trouvons un aperçu de
cela dans le fait que sur la très grande quantité de psychanalystes
dAmérique du Sud qui sont arrivés à Barcelone à partir des années 70, il
ny a quune seule analyste non formée dans cette société en activité.
Certains y sont passés, mais ny ont jamais eu une place et les autres ny
sont même pas entrés.
À Madrid, à la APM, lAssociation Psychanalytique de Madrid, il y a
bien eu des difficultés dintégration au début, mais ces difficultés ont été
surmontées et les psychanalystes, surtout ceux qui provenaient de
lAmérique du Sud, formés dans dautres Associations de la I.P.A. sont en
ce moment intégrés. La société de Madrid est plus ouverte, plus pluraliste et
elle a des filiales à Bilbao et Valence.
Ceux qui se donnent le plus de mal pour défendre et transmettre notre
discipline sont les groupes lacaniens et les groupes intermédiaires. Jentends
par intermédiaires, des groupes avec des schémas de référence post
freudiens, bioniens, etc., qui agissent avec une structure sociétaire ouverte,
qui ne dépend pas dune structure supranationale. Parmi eux, nous avons
notre AEHP qui joue un rôle très important.
Pendant lannée 2006, pour le 150ième anniversaire de la naissance de
Sigmund Freud, a lieu à Barcelone un fait inédit. En effet, sous les auspices
dune des deux librairies spécialisées en psychanalyse, l « ANY FREUD
2006 » (LAnnée Freud 2006) est organisée. Le propriétaire de cette
librairie, M. Salvador Foraster, accompagné par une commission
organisatrice composée par des analystes appartenant à différents schémas
référentiels, soutient et encourage toute une série dactes, de tables rondes et
de conférences où participent des intellectuels non psychanalystes entre
autres.
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La AEHP a eu une forte présence lors de cette Année Freud, elle a par
exemple organisé la projection, en collaboration avec lInstitut Français de
Barcelone (IFB), du film « Linvention de la Psychanalyse » dElisabeth
Roudinesco et Elisabeth Kapnist, sous-titré en espagnol par cet Institut, avec
un énorme succès et une grande affluence de public. Ce film a été
commenté et discuté avec les assistants par Nicolas Gougoulis. La AEHP a
organisé ensuite, après le film, deux journées de tables rondes. Cette fois-ci
encore a eu lieu quelque chose dinédit en Espagne: dix associations
appartenant à différents schémas référentiels ont participé de ces journées.
Elles ont été soutenues par des autorités de la mairie de Barcelone et
ladjointe au maire, Mme. Imma Mayol les a inaugurées. Sans doute, nous
navons pas obtenu le soutien que nous aurions souhaité des médias, mais je
pense que cest une bonne façon de commencer, il nous faudra attendre pour
voir les fruits que nous récolterons.
Roberto M. Goldstein
Barcelone, Février 2007
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