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La rencontre de la psychanalyse avec l'art :
une histoire de regards croisés.1
Nicolas Gougoulis2
1. Introduction
Chers amis, je suis très honoré de me trouver parmi vous pour célébrer le 150e anniversaire
de la naissance de Sigmund Freud. Je remercie le Comité d'Organisation et tout
particulièrement le Directeur de l'Institut Français de Barcelone Mr. Pierre Raynaud et le Dr.
Roberto Goldstein de m'avoir invité et accueilli. Je me permets de transmettre les cordiales
salutations de Gérard Bayle, président de la Société Psychanalytique de Paris (SPP), de
Sophie de Mijolla-Mellor, présidente de l'Association Internationale de l'Histoire de la
Psychanalyse (AIHP), et de Gilda Sabsay y Foks, présidente de la Société Latino-américaine
de l'Histoire de la Psychanalyse et membre de la Commission d'Histoire de l'Association
Internationale de Psychanalyse (IPA).
La pensée théorique de Freud a bouleversé le paysage de l'histoire des idées. La psychanalyse
est plus qu'une nouvelle théorie psychologique, elle est, comme il l'écrivait en 1933, une
"Weltanschaung", terme difficile à traduire. L'étymologie et le recours au Grec donneraient un
mot comme "cosmothéorie", mais ceci ne serait pas exact. Vision du monde serait plus près
du sens allemand, mais regard sur le monde est le terme que je vais adopter pour les besoins
de mon exposé de ce soir. Je vais essayer de vous l'expliquer au long de mon exposé.
J'avais préparé un exposé avec le titre que vous avez lu au programme : "L'influence de la
psychanalyse sur l'art" et puis à mon retour d'Athènes, où l'AIHP tenait un colloque sur
"l'histoire et la fonction du mythe en psychanalyse", j'ai été saisi par ce fait-divers
bouleversant de la mère infanticide (elle aurait tué puis gardé dans le congélateur trois
enfants!!). Et surtout par les propos remplis de certitude de différents experts qui expliquaient
ce geste tragique et énigmatique. Devant la violence incompréhensible avant même de penser
théoriquement ce geste qui m'atteignait, je ne pouvais avoir qu'un premier recours à la
tragédie. J'ai songé à Médée au moment de son trouble, en découvrant la trahison de Jason.
Elle s'exclame :
1 Conférence à la journée "La présence de la pensée de Freud" à l'occasion des 150 ans de la naissance du
fondateur de la psychanalyse, organisée par l'Association Espagnole d'Histoire de la Psychanalyse (AEHP),
Barcelone, 20 Octobre 2006.
2 Psychiatre, Psychanalyste (SPP), Directeur du Département d'Histoire et des Archives de la SPP, Secrétaire
général de l'AIHP.
2
"Ô Zeus, pourquoi donc as-tu fourni aux humains des moyens sûrs de reconnaître l'or de
mauvais aloi, tandis que les hommes ne portent sur le corps aucune marque naturelle à quoi
distinguer le pervers?"(519)
Euripide marquait l'incertitude de l'humain. C'est à ce moment que le mot influence m'a paru à
la fois inexact et violent pour le sujet de ce soir. Cela faisait de la psychanalyse, science
naissante et incertaine, un corps constitué de concepts, de grilles de lecture qui pourrait
exercer une influence sur l'art. J'ai donc préféré au grand dam de mon sommeil et de celui des
traducteurs revoir mon titre et mon texte. J'ai préféré donc le terme de "rencontre" pour définir
l'échange entre psychanalyse et art.
2. Un peu d'histoire freudienne
Vous savez bien et mieux pour ceux d'entre vous qui ont vu le film d'hier soir que Freud avait
introduit très tôt dans le cercle de rencontres scientifiques de la société de mercredi, l'embryon
de la société psychanalytique de Vienne, des non-médecins. Nous trouvons parmi eux Max
Graf, critique de musique. Pour les psychanalystes, il est surtout connu comme le père du
Petit Hans (Herbert Graf), le patient de la première application de la pensée psychanalytique à
l'enfant.
Mais Graf a un rôle plus important dans ce qui va nous préoccuper ce soir. Freud lui confie en
1905 un texte, le premier qu'il écrit sur l'explication de l'émotion que provoque le théâtre au
spectateur. Ce texte connu comme "Personnages psychopathiques à la scène" n'a jamais été
publié du vivant de Freud. Graf l'a conservé puis publié en anglais en 1942, trois ans après le
décès de Freud. Freud essaie de comprendre et d'expliquer l'émotion que provoque la tragédie
d'Hamlet, qui le taraude depuis plus de 10 ans, depuis sa lettre à Fliess d'octobre 1896 où il
identifie le mouvement psychique qu'il organisera en complexe d'OEdipe. Pour Freud, Hamlet
et OEdipe ont le même thème, mais Hamlet est un personnage qu'il qualifie de névrosé. Il
prétend donc que le spectateur est saisi au moyen d'une identification aux souffrances du
héros.
Nous sommes devant une série de questions concernant Freud devant les problèmes que lui
pose l'art et entre autres pourquoi il n'avait pas publié ce petit texte. Il répétera ce
comportement à un autre degré quelques années plus tard avec un texte sur l'art, cette fois-ci
la sculpture, lorsqu'il publie son essai sur le Moïse de Michel-Ange, une interprétation
psychanalytique de la statue. Je vous rappelle que Freud avait passé des heures de
contemplation devant le chef d'oeuvre en 1912 et avait interprété la manière que Moïse tenait
les tables de la loi. Il y voyait une retenue, une colère contenue devant la trahison de son
3
enseignement. Freud propose l'idée que Moïse retient les tables et ne les brisera pas. Il s'agit
d'une identification avec ses propres mouvements psychiques du moment. Ce texte, de grande
valeur esthétique et autobiographique a été publié sans la signature de Freud en 1914 et ce
n'est que plus tard en 1924 qu'il a levé le voile pudique de l'anonymat et s'est attribué la
paternité de son écrit.
Sur un autre plan dans les traitements psychanalytiques des artistes qu'il a eu à traiter (p. ex.
Mahler ou Bruno Walter), il évite les interprétations et fait des efforts pour protéger la faculté
de sublimation des artistes. Dans le cas de Bruno Walter, c'est encore plus flagrant qu'avec
Mahler. Comme si le psychanalyste devait se montrer prudent devant ce mécanisme
psychique qui est la source de la création artistique.
Si Freud n'a pas publié son analyse d'Hamlet, il n'a pas hésité à se livrer à une utilisation
psychanalytique de la nouvelle "Gradiva" de Jensen pour illustrer les mécanismes du délire en
1907. Il se permet aussi dans l'échange épistolaire qu'il a eu avec l'auteur de proposer des
interprétations quant aux motivations inconscientes de l'auteur pour l'écriture du texte.
Quelques années plus tard Freud se livre à une interprétation de tableau "St. Anne" et de la
vie de Leonard da Vinci. Texte très controversé, voir rejeté à cause d'une erreur de traduction
mais qui a été très reconnu bien plus tard comme une source d'inspiration par des critiques
d'art comme Daniel Arasse3. Cela dit le texte de da Vinci est un bijou pour la sublimation et
l'homosexualité latente. C'est aussi un livre fondateur pour la méthode psychologique dans le
domaine de la biographie dans lequel Freud avoue :
"Le don artistique et la capacité de travail étant intimement liés à la sublimation, nous devons
avouer que l'essence de la fonction artistique nous reste aussi, psychanalytiquement
inaccessible."(149-150). Phrase qu'il répétera à peu de choses près dans son texte "Le créateur
littéraire te le rêve éveillé."
Je ne vais pas épiloguer sur les premières tentatives de lecture psychanalytique sur l'art et
l'artiste en ne mentionnant parmi les écrits de Freud que la petite étude sur Dostoïevski et le
parricide. A côté de cela il ne faut pas oublier l'étude de Giovanni Segantini par Karl
Abraham en 1911. Cet écrit est une tentative de pathographie, à savoir une lecture du
fonctionnement psychique de l'artiste. Abraham s'aventure au-delà du domaine de la névrose
et décrit la place de la pratique artistique dans l'économie psychique de l'artiste, sujet
analytique très important. Son interprétation des tableaux est cependant très conventionnelle.
3 D. Arasse Léonard da Vinci (1997) et D. A. On n'y voit rien (2000), pour l'interprétation du tableau de
Velasquez.
4
Je dois m'arrêter sur le livre de Rank "l'Artiste". Ce livre d'une très grande importance est
resté confidentiel à cause de la rupture de Rank avec Freud. Il a connu trois éditions, mais dès
la première en 1906 Rank essaie de saisir la tension psychique, le conflit entre l'art et l'artiste.
Autrement dit il décrit la tension entre l'idéologie ambiante et la mise en forme dominante du
"Zeitgeist", l'esprit du temps, d'un côté et l'esprit créateur de l'artiste individuel de l'autre.
Rank suit des chemins intellectuels qui lui sont personnels et l'on y reconnaît en germe ce qui
va le séparer de son père spirituel. Sur le plan esthétique, il avait une culture supérieure à celle
de Freud et il était moins conservateur dans ses goûts. Il saisit le mouvement psychique de
l'artiste dès l'antiquité d'exprimer sa liberté de forme.
Pour conclure la partie historique de mon exposé du côté de Freud et de ses élèves : la
psychanalyse s'intéresse dès le départ à l'art et se livre à des tentatives importantes pour
produire son regard, sa lecture de l'art et de l'artiste. J'espère qu'il doit être clair après ce que je
vous ai dit que ce qui est en question est l'effet que l'oeuvre d'art produit sur celui qui le
regarde et c'est cela qui produit un matériel analysable. L'oeuvre d'art active le désir du
spectateur de s'approprier la création artistique et par voie associative réveille des productions
de sa vie inconsciente. Par effet de résonance, on peut parfois déduire des facteurs de la
genèse de l'oeuvre chez le créateur. Ce sont les artistes et les critiques d'art qui nous dirons
l'intérêt de ces interprétations mais ce qui est sûr, c'est que la théorie psychanalytique trouvait
des approfondissements chaque fois qu'elle faisait ces tentatives.
3. Le monde des artistes montre un intérêt pour la nouvelle science : premiers regards
Passons maintenant de l'autre côté de la barrière et cherchons le regard des artistes sur la
psychanalyse. Dès les années 1905-1910 à Vienne les théories de Freud pénètrent les cercles
de discussions artistiques et les salons littéraires. Le groupe autour de la gazette "l'Etincelle"
de Karl Kraus s'intéresse à la psychanalyse. Les intellectuels d'avant-garde voient dans la
psychanalyse un discours subversif au regard de la morale bourgeoise et font une
interprétation d'encouragement à la libération sexuelle. De ce cercle restera Fritz Wittels qui
fera une première biographie de Freud. Son roman "Freud et la femme-enfant" est une
première version de ce que Nabokov fera plus tard dans son ouvrage, "Lolita". Kraus, en
revanche, devient plus sceptique est à la longue plus caustique et rejetant.
Les romanciers viennois ou de langue allemande ne sont pas intéressés dans un premier
temps. Schnitzler contemporain de Freud écrit ses livres qui ont une ambiance très proche de
ce que Freud écrit sans avoir recours à une lecture de Freud. Puis Thomas Mann et Stephan
Zweig entrent en contact avec Freud. On a pu dire que la tétralogie "Joseph et ses frères" fut
5
un résultat du dialogue de Mann et de Freud autour de leurs interprétations bibliques et du
thème de Moïse. Ces deux auteurs se disent inspirés par la psychanalyse et font un grand
effort de sensibilisation du grand public à l'oeuvre de Freud. Ils vont même militer sans succès
pour que Freud obtienne le prix Nobel de la médecine.
En France, le cercle autour de la Nouvelle Revue Française (NRF) est très vite intrigué par la
psychanalyse. La figure du psychanalyste est introduite dans les romans de Gide. Il s'agit de
Mme Sophroniska qui met en scène Eugénie Sockolnika la première psychanalyste sur la
scène parisienne. Mais plus que ça on peut détecter un changement dans le style de l'écriture.
La technique de "mise en abîme", l'utilisation de la mémoire du protagoniste montrent une
appropriation par l'auteur des apports de la psychanalyse, la nouvelle science de l'âme pour la
construction du monde interne des protagonistes.
On ne peut négliger la rencontre de la psychanalyse avec le roman policier, même si cet art est
considéré par beaucoup comme art secondaire. Freud aimait beaucoup les" polars" et surtout
les auteurs anglais notamment Dorothy Sayers et son héros le détective amateur l'aristocrate
anglais Lord Peter Wimsey qui cherchait dans ses enquêtes le lapsus qu'il qualifiait de
"freudian slip". Il s'amusait, nous raconte Paula Fichtl, la gouvernante de la maison, d'élucider
le mystère du meurtre avant la fin du livre. Ce qu'il y a d'important c'est la modification du
"modus operandi" du détective entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. On passe du
positivisme scientifique de Conan Doyle et de son héros Sherlock Holmes à l'approche
psychologique des héros d'Agatha Christie et de Sayers. Les enquêtes des détectives au 20e
siècle ressemblent à une induction associative pour trouver la faille dans le raisonnement ou
l'effort de cacher du coupable. Mais c'est aussi un changement radical dans l'approche du
problème du mal. On est loin des stigmates, des profils des criminels du 19e. Dans la mise en
scène finale, Poirot rassemble tous les intéressés et montre comment n'importe qui pourrait
basculer dans le crime avant de désigner celui qui effectivement avait passé à l'acte. Le
monde est plus incertain face à la pulsion de destruction qui est en chacun.
Les rapports du mouvement surréaliste avec la psychanalyse est une histoire passionnelle. Les
surréalistes s'enthousiasment avec l'idée que le rêve et le délire ont un sens. Ils sont aussi
intéressés par l'idée que la psychanalyse n'est plus pratiquée par les seuls médecins; ils y
voient une libération par rapport au scientisme médical ambiant. Ils mettent cependant
l'accent du côté onirique et instrumentalisent la pensée analytique dans une lecture qui se veut
révolutionnaire, rappelez vous Nadja et la révolution surréaliste de Breton. Freud se montre
sceptique, voire hostile, à l'idée que sa théorie serve de justification de transgression dans la
notion de l'art. Compte tenu cependant de la manière que Freud lui-même utilisait ses
6
références dans la genèse de ses conceptualisations (p. ex. la lecture de Darwin, Atkinson et
Robertson Smith dans la construction du mythe du meurtre du père de la horde primitive)
devons-nous nous étonner de la manière que les surréalistes se sont approprié la
psychanalyse? Voilà une raison de plus pour parler de rencontre et non d'influence.
La psychanalyse n'intéresse pas la nouvelle peinture en Vienne. Mais il faut mentionner que
Salvador Dali s'est intéressé à la psychanalyse. Voici comment Freud décrit à Stephan Zweig
leur rencontre4 en 1938 :
"Il faut vraiment que je vous remercie du mot d'introduction qui m'a amené les visiteurs
d'hier. Car jusqu'alors, semble-t-il, j'étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment
m'ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à 95%, comme l'alcool
absolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise
technique, m'a incité à reconsidérer mon opinion. Il serait en effet très intéressant d'étudier
analytiquement la genèse d'un tableau de ce genre. Du point de vue critique, on pourrait
cependant dire que la notion d'art se refuse à toute extension lorsque le rapport quantitatif,
entre le matériel inconscient et l'élaboration préconsciente, ne se maintient pas dans les
limites déterminées. Il s'agit là, en tout cas, de sérieux problèmes psychologiques."
Dans le domaine de la sculpture, la rencontre est moins étudiée. Récemment, dans une étude
sur la vie et l'oeuvre d'Alberto Giacometti (2003) la psychanalyste new-yorkaise Laurie
Wilson détecte des motifs psychanalytiques dans les oeuvres des années 1920-1930. Elle
défend une hypothèse de mise en forme qui prendrait en compte la bisexualité et appuie ses
idées en rappelant un rêve de l'artiste où le Sphinx est apparent et qu'elle considère comme un
tournant esthétique.
Quant à la musique, Freud est dans une contradiction passionnante. Il se disait amusical5, ce
qui était terriblement faux. Dès ses études à Paris on le trouve dans les cabarets où il écoute la
chanteuse Yvonne Guibert et bien sûr à l'opéra. Il aimait Don Giovanni et Carmen et pouvait
facilement citer des airs. Mais encore une fois il ne maîtrisait pas l'émotion que lui procurait
la musique et préférait mettre entre parenthèse ce domaine. Il est difficile de voir une
rencontre de la psychanalyse avec la musique en dehors de la rencontre personnelle. On peut
supposer que Walter et Herbert Graf qui avaient collaboré dans la mise en scène au
Metropolitan de New York discutaient de Freud et de leurs cures. Certains auteurs ont détecté
des mouvements psychiques de transition dans la musique de Schoenberg6.
4 Correspondance p. 490.
5 Chesire (1996) Freud and the Empire of the ear. Freud's problem with Music. IJPA
6 Carlsen (1987) Psychoanalytic perspectives in art. IRPA
7
Enfin, le cinéma s'intéresse très vite à la psychanalyse. À titre anecdotique, je vous rappelle
que les expériences des frères Lumière et les "Etudes sur l'Hystérie" datent toutes deux de
1895. Au milieu des années, en 1926 Georg Pabst tourne un film sous le titre "Les secrets
d'une âme" (Geheimnisse einer Seele) soutenu par les élèves de Freud. Hollywood propose à
Freud de devenir un consultant pour le tournage de grandes histoires d'amour. Samuel
Goldwyn pense pouvoir acheter Freud en lui offrant la somme mythique de $100.000. Freud
sceptique refuse, mais cet échange fait la une du journal "The New York Times". Freud est un
homme conservateur et très sceptique dès qu'on sort des domaines qu'il maîtrise. Il ne veut
pas d'une vulgarisation qu'il vit comme une dilution de sa théorie au goût du jour. Certaines
caricatures cinématographiques lui donnent raison, mais en général Freud n'a pas compris
force de la nouveauté du cinéma. Si besoin était, nous pouvons penser à la mise en scène de
Robert Bresson" Journal d'un curé de campagne" inspiré du roman de Georges Bernanos. Les
psychanalystes français ont participé à la réalisation de ce film; notamment Adrien Borel
revêt la soutane du curé de Torcy, mais figure sous le pseudonyme André Guibert au
générique du film, comme nous le signale Elisabeth Roudinesco dans son Histoire.
Le cinéma s'empare de la psychanalyse. Des cinéastes aussi divers que Hitchcock, Chaplin,
Kazan ou Nicholas Ray mettent en scène le psychanalyste pour soutenir une narration ou pour
cerner les conflits psychologiques. Des collègues analystes ont recensé 450 apparitions de la
figure du psychanalyste dans des films majeurs. Parfois c'est le protagoniste, parfois il
soutient des besoins de la narration et parfois il est mis dans des rôles plus ambigus, comme
dans les films de Woody Allen.
Alfred Hitchcock en 1945 dans "La Maison du Dr. Edwards" (Spellbound) met en scène une
cure transférentielle cathartique à la sauce hollywoodienne et un happy end émouvant. Il
utilise cependant des dessins d Salvador Dali pour figurer les rêves. John Houston tourne une
biographie de Freud avec Montgomery Clift. Il avait demandé à Sartre de faire le scénario,
mais celui-ci n'a jamais pu dépasser son conflit avec la psychanalyse et n'a pas donné son
travail.
Mais il serait très limitatif de chercher les rapports directs. Qui peut nier l'utilisation du rêve et
par conséquent de la pensée analytique comme pensée ambiante dans les films de Fritz Lang
notamment "le testament du Dr. Mabuse"?
Les critiques de cinéma dès les années 50 ont recours à la psychanalyse. Wolfenstein &
Leites7 aux Etats-Unis soutiennent la thèse qu'on peut interroger un film de la même façon
7 Wolfenstein & Leites (1950) Movies. A Psychoanalytic Study. Gloucester Illinois, Free Press.
8
que Freud avait analysé des textes littéraires. La revue française "Cahiers de Cinéma" créera
un style dans la critique en proposant une synthèse de lecture analytique, sémiotique et plus
tard les idées de Derrida.
4. Un exemple de l'effet de rencontre : une approche personnelle du cinéma et en
particulier du film de Kubrick "Eyes Wide Shut"8
A la fin de cette deuxième partie historique de mon exposé, je me sens relativement
tranquille. J'ai rempli mon devoir d'historien de la psychanalyse et, quitte à vous avoir fatigué,
j'ai essayé de montrer les deux côtés de la rencontre que j'ai proposé au départ. Aussi je vais
me permettre d'enlever le manteau du psychanalyste, historien et de vous proposer quelques
idées plus personnelles.
Ut pictura, poesis. Vous connaissez l'opinion d'Horace sur les lois communes qui régissent la
peinture et la poésie. Depuis lors les différents domaines de l'art n'ont cessé de s'inspirer
mutuellement. Récemment j'avais proposé une lecture psychanalytique du poème de Cavafy,
inspiré du tableau de Gustave Moreau : OEdipe et le Sphinx. Mais je ne vais pas vous parler de
cela. Je vais vous parler d'un film qui m'a préoccupé depuis que je l'ai vu : le film de Stanley
Kubrick "Eyes Wide Shut". Film inspiré de la nouvelle d'Arthur Schnitzler "La nouvelle du
rêve" (Die Traumnovelle). La nouvelle fut écrite en 1925 par celui que Freud considérait
comme son double. Le film est sorti en 1999 juste après le décès de Kubrick. Dans les
critiques des films, nous apprenons que les deux auteurs sont préoccupés par la mort au
moment de produire leurs oeuvres.
Le thème est difficile à cerner. À tel point, que le film a rencontré un accueil pour le moins
mitigé. Certains y voient le thème de la mort d'autres la rencontre avec le corps de la femme
dans ses trois aspects (mère, amante, mort) d'autres encore voient le rapport de la vie au rêve.
Ce qui est sur c'est que le film n'a pas laissé les spectateurs indifférents.
Kubrick, juif autrichien, s'inspire de la nouvelle de Schnitzler, mais la transpose à New York,
la nouvelle Babylone de notre monde actuel. Il suit la trame de l'écrit, mais désormais utilise
la technique de son art, le cinéma. Si le conflit entre homme et femme sur la fidélité et
l'amour et le même, son traitement devient au moyen cinématographique beaucoup plus
violent; plus pulsionnel aurai-je envie de dire. Rappelez bous cette scène où Alice
magnifiquement interprétée par Nicole Kidman se transforme avec ce rire violent agressif.
8 Enckell (2001) Eyes open and shut. Scandinavian Psychoanalytic Review. Gabbard (2001) The Impact of
Psychoanalysis on American Cinema. Annual of Psychoanalysis. Gabbard & Gabbard (1989) The female
psychoanalyst in the movies. JAPA.
9
Elle jette à la figure de son mari naïf ses certitudes et lui raconte comment elle aurait pu partir
avec un homme qu'elle avait rencontré et qui a failli lui faire perdre la tête. Seul le cinéma
peut capter ces moments d'intensité, les changements de situation psychique ou la personne
bascule du conventionnel dans le pulsionnel. Kidman condense dans son regard ce monde
crépusculaire entre le phantasme ravivé et la réalité du moment. En même temps, de l'autre
côté, le mari vit la perplexité qui le conduira d'errance nocturne en rencontre insolite dans des
lieux oniriques qui sont sa quête de nouveaux appuis face à la déstabilisation immense qu'il
vit. Le film suit un travail de rêve inaccompli, comme le rêve de Freud "vous êtes priés de
fermer les yeux", qui rappelle le titre du film et finit sur une ambiguïté justement parce qu'il
ne réussit pas d'aller au bout de sa réflexion.
La nouvelle de Schnitzler et le film de Kubrick après des retrouvailles concluent sur la même
phrase : soyons heureux d'être ici ensemble dans la vie ou dans un rêve. Ils laissent ouverte la
question de la relation de la vie au rêve et raison de plus la question de la nature du rêve.
Je ne vais pas comparer les deux chefs d'oeuvre, mais je ne peux qu'essayer de vous donner
mon émotion devant la technique du cinéma de condenser ces moments de bascule de l'âme
au moyen d'un geste, d'un regard, d'une expression faciale. Cette condensation que Freud
analysait dans son" Interprétation des rêves". Le film, dans ce sens, devient une mosaïque de
fragments, de souvenirs, de peurs et de phantasmes vu par ce miroir déformant qu'est la
caméra, derrière laquelle nous avons la pensée et le regard du cinéaste.
5. Conclusion
Vous l'aurez compris le regard de la psychanalyse sur le psychisme a permis d'ouvrir des
fenêtres vers l'âme. Tout se passe dans un mouvement des yeux. Yeux ouverts, yeux fermés,
c'est pour cela que l'ambiguïté du titre du film de Kubrick est si prégnante. Yeux ouverts je
vois au sens de la physiologie. Je vois mes camarades du panel, le public, le bel Institut
Français. Yeux fermés je me représente, je me souviens, je me retrouve avec mes phantasmes,
mes peurs et mes espoirs, je reproduis le monde et me livre à mon imagination qui peut-être
transformera le monde en une image intéressante. C'est le rapport de la vie et du rêve.
Alors ut pictura, psychoanalysis? Qui sait...
Laissons le mot de la fin non pas à Sigmund mais à Sigismond qui dans la pièce de Calderon
de la Barca du siècle d'or de théâtre espagnol, La vie est un songe, chargé de chaînes rêve de
son passé heureux et dans un monologue s'exclame :
"Qu'est-ce que la vie? Un délire.
Qu'est-ce donc la vie? une illusion,
10
Une ombre, une fiction.
Le plus grand bien est peu de choses
Car toute la vie n'est qu'un songe.
Et les songes rien que des songes."9
9 Qué es la vida? un frenesi.
Qué es la vida? una ficcion,
Una sombra, una ilusion.
Y el mayor bien es pequeno
Que toda la vida es sueno
Y los suenos, suenos son.

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